Accueil Actualités Symposium International à Beit al-Hikma, Carthage : Ils ont déclaré à La Presse

Symposium International à Beit al-Hikma, Carthage : Ils ont déclaré à La Presse

 

Pr Mahmoud Ben Romdhane, président de l’Académie tunisienne Beït al-Hikma

• «L’Occident qui a mis en place l’organisation mondiale après la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui à la dérive. La construction de ce nouvel ordre mondial se fait d’une manière très rapide».

Il y a eu une organisation du monde qui a prévalu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais qui est en train de se déliter. Il y a en cours peut-être une autre organisation du monde qui est en train de se présenter. C’est donc cela qui a été mon propos, pour dire comment le monde s’organise, pourquoi cette organisation qui a prévalu est en train de se déliter et quelle est l’organisation qui apparaît en perspective. Mon propos n’est pas orienté vers l’action, mais plutôt vers la compréhension parce que la question est la suivante : où va le monde ? Je suis parti de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il y a eu une nouvelle organisation du monde qui a été réfléchie afin d’éviter que certaines crises ne se reproduisent. En parallèle, il y avait un modèle de structuration politique du monde à cette époque qui a été incapable de juguler la montée du fascisme et du nazisme. Comment faire pour créer une organisation nouvelle du monde susceptible d’éviter la reproduction de tels types de crises terribles ?  A cet effet, il y a eu plusieurs réunions en vue d’envisager le nouveau monde et le monde a été structuré autour de la puissance légitime à cette époque.

Il était clair que le leader ne pouvait être que les États-Unis d’Amérique qui étaient mus par une vision universaliste. Ils ont considéré qu’ils avaient un rôle à jouer pour achever cette guerre et en finir avec «l’agent du mal» qui était l’Allemagne nazie ainsi que le Japon. Les USA avaient l’économie la plus puissante du monde et ont pu trouver des solutions de sortie de crise grâce au New Deal qui tenait en compte l’intérêt des travailleurs et soutenait l’ensemble des agents économiques américains. Ce fut un consensus dans lequel tous les acteurs sociaux ont trouvé leur compte. L’attachement des USA a montré au monde que ce pays avait une perspective universelle. Tout cela a fait des USA le leader du monde. Avec les autres grands acteurs, en particulier l’Angleterre et l’Union soviétique, ils ont fondé une nouvelle organisation financière et économique du monde (la Bird, qui s’est muée après en Banque mondiale) et ont mis en place le FMI, pour arriver ensuite aux accords sur les tarifs douaniers (Gatt) qui est devenu l’Organisation mondiale du commerce dans les années 90.

Sur le plan politique, et dans le cadre d’un nombre restreint de pays déterminants, à savoir les puissances mondiales, l’ONU, le Conseil de sécurité, et la Déclaration universelle des droits de l’homme ont vu le jour. Le monde auquel voulait s’engager Roosevelt était un monde démocratique. De 1974 jusqu’à l’an 2000, il y a eu une vague de démocratisation dans le monde grâce à une organisation nouvelle à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Mais, cette organisation commence à prendre du plomb dans l’aile pour un ensemble de facteurs. Parmi ces facteurs, la libéralisation du mouvement des capitaux. Il y a eu un changement au niveau des rapports de force entre le capital et le travail qui a tourné souvent à l’initiative des gauches au pouvoir.

Depuis lors, l’organisation mondiale nouvelle s’est détériorée sur le plan économique. Sur le plan politique, c’est à partir de l’an 2000 que les choses vont s’aggraver avec une récession démocratique d’une immense intensité. La principale puissance qui a été chargée de la régulation du monde à savoir les USA, devient elle-même contestataire de la régulation du monde et se désengage de sa responsabilité.

A partir des années 80, les syndicats qui représentaient une force principale sont eux-mêmes déboussolés par les «attaques néolibérales», mais aussi par le «nouveau modèle productif». Ils changent leur fusil d’épaule et deviennent les défenseurs des minoritaires et se détachent du mouvement ouvrier. Que se passe-t-il donc ? C’est l’extrême droite qui devient l’expression du mouvement ouvrier et c’est la gauche qui se trouve à la dérive. C’est ce qui se passe actuellement. Ceux qui ont le vent en poupe, ce sont soit les mouvements populistes qui sont légion, soit l’extrême droite. Le monde nouvellement organisé, est considérablement affaibli. La puissance qui a été à l’origine d’un nouveau système court à sa propre destruction.

En ce moment, un autre pôle émerge avec des pays qui affichent des taux de croissance à deux chiffres. Il y a une sorte de coalition émergente qui est forte entre certains pays, alors que le monde issu de la Seconde Guerre mondiale est en crise économique et politique. Plusieurs pays veulent aujourd’hui rejoindre les Brics. L’Occident, qui a mis en place l’organisation mondiale après la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui à la dérive. La construction de ce nouvel ordre mondial se fait d’une manière très rapide.   

Pr Gilles Bibleau, anthropologue médical, Université de Montréal

• «Il y a un parallèle entre la guerre de conquête de l’Ouest américain par les militaires et celle que Netanyahu et son cabinet de guerre mènent à Gaz».

Dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu des conflits. Il y a deux façons de les résoudre, soit par le biais du dialogue et la diplomatie, soit par les armes. A ce jour, nous avons encore des guerres coloniales à l’instar de ce qui se passe actuellement en Palestine et où le sionisme est mis en cause, et des guerres d’empire comme celles menée actuellement par la Russie qui aspire, la reconstitution de l’empire soviétique. Ce qui se passe actuellement à Gaza, c’est probablement la dernière guerre coloniale de l’histoire du monde. Malheureusement, des pays qui ont été eux-mêmes colonisateurs supportent cette guerre. Il y a un parallèle entre la guerre de conquête de l’Ouest américain par les militaires et celle que Netanyahu et son cabinet de guerre mènent à Gaza.

Il n’est pas étonnant que les Américains, tout en affirmant leur adhésion au droit international, permettent l’exception, à savoir le droit à Israël de poursuivre ses bombardements sans arrêt. Si les USA arrêtaient d’envoyer des bombes et des équipements militaires à Israël, la guerre se terminerait dans deux jours et si le tribunal international de justice qui s’est saisi de la requête de l’Afrique du Sud pour qu’on proclame qu’il y a eu bel et bien génocide comme par le sionisme israélien, il faut alors condamner les Etats-Unis d’Amérique qui étaient partie prenante dans ce conflit qui persiste à ce jour. Maintenant, pourquoi ne pas faire place au dialogue, à la diplomatie ? Il faut que la diplomatie vienne remplacer les guerres, et c’est ce qui compte le plus.

Pr Abdelmajid Charfi, ancien président de l’Académie tunisienne Beït al-Hikma

• «Nous assistons à la naissance douloureuse d’un monde que nous ne savons pas s’il sera meilleur ou pire».

Comment va le monde ou plutôt comment va l’humanité ? C’est difficile de répondre à cette question dans la mesure où le monde est en train de changer. Il y a un ordre mondial qui a été le résultat des rapports de force après la Seconde Guerre mondiale. Mais il y a des forces montantes, de nouveaux paramètres qui apparaissent au niveau de la politique mondiale. A la question comment va évoluer le monde ?  Personne ne peut prédire comment sera fait demain. Il existe de réels dangers qui guettent l’humanité aujourd’hui du fait que nous vivons à l’ère atomique. De ce fait, les dérapages sont toujours possibles et ne sont pas à écarter. On doit se rendre compte des dégâts occasionnés par l’utilisation d’armes d’une part, et d’autre part, en raison des changements au niveau environnemental et climatique. Ces changements concernent toute l’humanité.

Cependant, les solutions ne font pas l’unanimité. Même en ce qui concerne les changements climatiques comme le confirme la position des Républicains aux États-Unis d’Amérique. On voit bien à ce propos que des décideurs de premier plan ne sont pas conscients et ne font rien pour sortir de cette crise environnementale qui a commencé il y a quelques années et dont les conséquences sont de plus en plus dangereuses pour toute l’humanité.

Aujourd’hui, nous assistons peut-être à la naissance douloureuse d’un monde que nous ne savons pas s’il sera meilleur ou pire. Il faut être optimiste malgré tout parce que les forces de la lumière et de la jeunesse sont là et il ne faut pas désespérer de l’humanité.

Pr Imed Melliti, président de l’Association internationale des sociologues de langue française

• «Il est des jeunes qui sont obsédés par un sentiment terrible. Ils ne maîtrisent pas le temps de leur vie».

Les jeunes ont un regard très critique par rapport à ce qui se passe dans la société et ont le sentiment que le monde va mal. C’est ce qui se dégage d’une enquête menée avec d’autres chercheurs dans cinq régions du pays dans le but de cerner les motifs du sentiment d’injustice dans la tranche d’âge comprise entre 18 et 35 ans. Une enquête qui s’articule autour de la justice dans des sphères différentes, à savoir le travail, l’école, la famille et sur leur évaluation concernant cette justice.

Les inégalités sont là, selon l’enquête réalisée, mais les jeunes peuvent accepter que les gens ne touchent pas le même salaire. Toutefois, ils n’acceptent pas par exemple qu’un médecin touche un salaire 100 fois plus élevé que celui d’un ouvrier. Cela indique qu’il existe des seuils de tolérance au-delà desquels cette tolérance devient inacceptable. L’excès des inégalités provoque indubitablement des revendications et une sorte de rappel à l’ordre à une éthique de l’équilibre. La plupart des jeunes disent que notre société est très inégale et évoquent le rôle que doit assumer l’Etat pour rétablir un certain équilibre et ne pas sombrer dans la démesure.

Lorsque les jeunes parlent d’égalité citoyenne qui à leurs yeux n’existe pas, ils évoquent quelque chose de très important. Leur message est que l’Etat doit donner à chacun la possibilité de mener à terme son projet de vie. Ces jeunes sont obsédés par un sentiment terrible. Ils ne maîtrisent pas le temps de leur vie.

En Tunisie, il y a une sorte de mémoire sociale de l’Etat-providence qu’on n’arrive pas à évacuer en dépit du désengagement de l’Etat à certains niveaux. Il est important aujourd’hui d’être à l’écoute des jeunes et de mettre à leur disposition des espaces où ils puissent s’exprimer. Comment va la société tunisienne ? Je ne peux pas me prononcer sur cette question car les injustices et les incivilités sont partout.

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